Cours L’ogre : le personnage qui fait peur
Introduction
Le personnage de l’ogre, créature géante dévoreuse d’humains, apparaît dès l’Antiquité. Par exemple Cronos, le père de Zeus, est décrit comme un père qui mange ses propres enfants. En effet, un oracle a prophétisé que l’un de ses enfants le détrônerait. Cronos décide alors de tous les dévorer un par un. C’est Zeus, d’abord avec l’aide de sa mère puis grâce à une ruse, qui réussit à sauver ses frères et sœurs puis à éliminer son père.
Au XVIIe siècle, l’ogre réapparaît dans les contes, ceux de Charles Perrault notamment.
Le conte est un court récit qui s’est transmis d’abord oralement avant d’être imprimé. Il est porteur d’une morale et ses personnages sont souvent merveilleux, comme les sorcières, les fées ou les ogres.
Dans ce cours nous allons étudier des extraits de contes et nous nous intéresserons particulièrement au personnage de l’ogre. Nous verrons ce qui le caractérise et nous nous demanderons quelle est sa fonction dans les contes.
L’ogre : un personnage merveilleux
L’ogre : un personnage merveilleux
Il existe trois grandes familles de genres littéraires : le genre narratif, le genre théâtral et le genre poétique. Le conte appartient au genre narratif (les genres du récit, qui racontent des histoires), on parle donc de sous-genre narratif pour le conte.
« Le Petit Poucet » est un conte issu de la tradition orale retranscrit et remanié par Charles Perrault. Il paraît dans Les contes de ma mère l’Oye en 1697 et raconte l’histoire d’un couple de bûcherons qui, n’ayant plus les moyens de subvenir aux besoins de leurs enfants, décide de les abandonner en forêt. La première fois, Poucet arrive à sauver ses frères en les ramenant à la maison. La deuxième fois cependant, il ne retrouve plus le chemin. À la tombée de la nuit, le Petit Poucet et ses frères craignent de se faire dévorer par les loups et demandent alors l’hospitalité à une femme dans une chaumière.
Le Petit Poucet sème des cailloux pour retrouver son chemin. Gustave Doré, illustration pour « Le Petit Poucet » de Charles Perrault, 1862
Chaumière :
Une chaumière est une maison traditionnelle dont le toit est fait de chaume, c’est-à-dire de paille.
La femme accepte de les héberger mais les prévient que son mari est un ogre et qu’ils doivent se cacher.
Le nom ogre viendrait de Orcus, nom latin d’un monstre des Enfers. Dans les contes, il est décrit comme un géant cruel qui dévore les enfants.
La femme de l’ogre a donc permis au Petit Poucet et à ses frères de se cacher. Mais à peine l’ogre est-il rentré qu’il sent déjà la présence des enfants.
« Le mouton était encore tout sanglant, mais il ne lui en sembla que meilleur. Il fleurait1 à droite et à gauche, disant qu’il sentait la chair fraîche.
‟— Il faut, lui dit sa femme, que ce soit ce veau que je viens d’habiller2 que vous sentez.
— Je sens la chair fraîche, te dis-je encore une fois, reprit l’Ogre, en regardant sa femme de travers, et il y a ici quelque chose que je n’entends3 pas.” »
1 Fleurer signifie sentir.
2 Habiller veut dire ici préparer.
3 Entendre est utilisé ici comme comprendre.
L’Ogre et sa femme, Gustave Doré, illustration pour « Le Petit Poucet » de Charles Perrault, 1862
Les verbes « était », « fleurait », « sentait » sont conjugués à l’imparfait de l’indicatif. Ils expriment un état ou une action qui dure dans le temps.
- On peut remarquer qu’il s’agit des temps du récit.
Les temps du récit sont l’imparfait et le passé simple de l’indicatif.
Par exemple, le fait que le verbe « fleurer » soit conjugué à l’imparfait indique que l’Ogre prend son temps et sent tout autour de lui. En revanche, le verbe « sembler » est conjugué au passé simple parce qu’il s’agit d’une action brève dans le temps. Sur le moment, le mouton semble appétissant à l’Ogre, mais on ne s’attarde pas sur ce fait.
Les verbes « faut », « sentez », « sens », « dis », « a », et « entends » sont conjugués au présent de l’indicatif.
- Le plus souvent, un dialogue au discours direct est au présent de l’indicatif.
Un dialogue au discours direct se repère aisément par la présence de guillemets. Le discours direct permet de rapporter directement les paroles du personnage.
Cela rend le récit plus vivant, on peut ainsi sentir l’inquiétude chez la femme de l’Ogre qui ne souhaite pas qu’il découvre les enfants cachés.
La principale préoccupation de l’Ogre est la nourriture, son champ lexical est présent : « mouton », « chair fraîche ». Cependant, l’alimentation de l’Ogre est liée à l’horreur : le mouton est encore « tout sanglant » et la « chair fraîche », qui fait penser à de la viande, se rapporte en réalité aux enfants. La préoccupation pour la nourriture est un trait de caractère propre aux ogres : ils ne sont jamais rassasiés, ils ont toujours faim.
L’Ogre a un sens de l’odorat particulièrement développé, il sent la présence des enfants. Cela relève d’un pouvoir à la fois animal et quasi surnaturel, ce qui fait penser à un prédateur.
Prédateur :
Un prédateur est un animal sauvage qui chasse les autres animaux.
- Le personnage de l’Ogre est un personnage merveilleux puisqu’il n’est pas réaliste : il possède un odorat exceptionnel et mange les enfants.
Merveilleux :
Les histoires du registre merveilleux sont constituées d’éléments surnaturels, comme des personnages ou des lieux. On y trouve alors des fées, des sorcières ou encore des dragons, et personne ne s’en étonne.
Le fait que le mouton sanglant fasse envie à l’Ogre est effrayant et son pouvoir le rend encore plus inquiétant. Le lecteur se demande comment le Petit Poucet et ses frères vont pouvoir se sortir de cette situation dangereuse.
L’Ogre est donc une figure terrifiante dans Le Petit Poucet, il inspire la peur au lecteur. Mais la seule figure de l’Ogre ne suffit pas à inspirer la peur, l’auteur doit également créer un contexte propice à ce sentiment.
Le décor du conte : la création d’un climat de peur
Le décor du conte : la création d’un climat de peur
Dans les contes d’Europe du Nord et de l’Est, les sorcières sont souvent aussi des ogresses, comme dans ce conte russe du XIXe siècle d’Alexandre Afanassiev, « Vassilissa-la-très-belle ».
Vassilissa a été envoyée par sa belle-mère chez la Baba-Yaga, la sorcière-ogresse traditionnelle des contes russes. Elle habite une maison effrayante au cœur de la forêt. Voici la description de cette maison :
« Vassilissa marcha toute la nuit et toute la journée suivante, et elle n’arriva que le deuxième soir à la clairière où se trouvait la chaumière de la Baba-Yaga ; autour de la chaumière, il y avait une palissade1 construite d’ossements humains, et, sur la palissade, se trouvaient des crânes humains avec leurs yeux ; sur la porte, au lieu du crochet, il y avait des tibias2 humains ; au lieu du verrou, des os de bras ; au lieu de serrure, des mâchoires aux dents pointues. »
Alexandre Afanassiev, “Vassilissa-la-très-belle”, Contes populaires russes, XIXe siècle
1. Une palissade est une clôture faite avec des planches.
2. Le tibia est un os de la jambe.
Yvan Bilibin, Vassilissa, 1899
L’auteur décrit ici la maison de la Baba-Yaga. Pour ce faire, il emploie l’imparfait de l’indicatif.
L’imparfait est le temps utilisé pour les descriptions dans un récit.
La maison est présentée de façon détaillée. En premier lieu, le cadre de cette chaumière est présenté. Elle se situe dans une clairière enfoncée profondément dans la forêt, il faut deux jours de marche pour y accéder. L’auteur décrit d’abord l’extérieur de la maison et zoome ensuite jusqu’au plus petit détail.
Alexandre Afanassiev révèle donc d’abord le cadre dans lequel est situé cette chaumière, puis décrit la « palissade », puis « la porte », ensuite le « crochet », les « verrous » et pour finir la « serrure ». Cela donne un effet angoissant, le lecteur a le sentiment de ne pouvoir échapper à cette sorcière dont on se rapproche lentement mais inévitablement.
On peut relever dans cet extrait le champ lexical du squelette avec les termes « ossements humains », « crânes humains », « tibias humains », « os de bras » et « mâchoires aux dents pointues ». La répétition de l’adjectif « humain » rappelle avec insistance que la sorcière mange des hommes. La maison est décorée avec les ossements des victimes de la sorcière.
- Les éléments des descriptions sont donc macabres.
Macabre :
L’adjectif macabre désigne quelque chose de triste, de lugubre qui évoque la mort.
Le lieu est merveilleux puisqu’il est constitué d’éléments qu’on ne rencontre pas dans le monde réel.
Le lecteur se sent angoissé pour Vassilissa qui doit entrer dans cette maison. Et sans même avoir vu la sorcière-ogresse, on pressent le danger pour la jeune fille.
Alexandre Afanassiev utilise le merveilleux comme Charles Perrault pour renforcer l’horreur de sa description. Les détails de la description sont exagérément horribles afin de faire peur au lecteur avant même d’avoir fait la connaissance du personnage effrayant de la sorcière-ogresse.
Néanmoins, dans la littérature de jeunesse du 20e siècle, le personnage de l’ogre évolue et devient de moins en moins effrayant. Il reste monstrueux mais sa description et son rôle dans le récit amusent le lecteur et désamorcent la peur. De nombreux auteurs utilisent l’humour pour détourner la référence classique de l’ogre, présenté comme un personnage monstrueux et dévorateur d’enfants.
Ainsi, dans les Contes de la Folie Méricourt de Pierre Gripari, la fille de l’ogresse n’est pas si effrayante qu’elle en a l’air au premier abord :
« La fille de l’ogresse apparaît. Elle est plus jeune et jolie que sa mère, mais encore plus méchante, avec des dents plus longues et encore plus pointues.
— Voilà, ma mère. Que voulez-vous ?
— Je t’apporte un petit Jeannot. Mets-le au four tout de suite, moi j’ai encore des courses à faire… Nous le mangerons ce soir pour dîner ! »
La petite ogresse va alors trouver Jeannot et lui demander de s’allonger sur la plaque afin qu’elle puisse l’enfourner mais le petit garçon fait semblant de ne pas bien comprendre ses consignes de sorte que son pied gauche bloque ; l’ogresse ne parvient pas à le faire entrer dans le four. Agacée, elle décide de lui montrer comment faire et s’allonge à son tour sur la plaque. Jeannot pousse alors un grand coup et enferme l’ogresse dans le four ! La mère ogresse, qui revient de ses courses, appelle sa fille, en vain. La chute est particulièrement amusante :
« Toujours pas de réponse.
— Tiens ! pense l’ogresse, elle est partie ? Et sans ma permission ? En ce cas, tant pis pour elle ! Je mangerai sa part ! »
Pierre Gripari, Contes de la Folie Méricourt, Grasset et Fasquelle, 1983
Dans cet extrait, les ogresses, mère et fille, ne font plus peur mais provoquent le sourire du lecteur. Le retournement de situation en faveur de Jeannot et la naïveté de la petite ogresse rendent le personnage inoffensif.
Conclusion :
L’ogre dans les contes apparaît comme un être monstrueux. C'est un personnage effrayant et merveilleux. Le héros doit affronter l’ogre et surmonter cette épreuve pour se sortir d’une situation cauchemardesque. La confrontation avec l’ogre amène le lecteur à dépasser ses propres peurs. Ces peurs peuvent également être dépassées par l’humour chez certains auteurs du 20e siècle, qui détournent la figure du monstre pour en faire un personnage amusant, voire sympathique : le Bon gros géant de Roald Dahl ou Shrek sont bien loin de Baba Yaga ou du monstre inquiétant du Petit Poucet !